la contribution d'Angélique Libbrecht


Avant de commencer, j’aimerais citer cet invariant de C. Freinet : Invariant n° 21 L'enfant n'aime pas le travail de troupeau auquel l'individu doit se plier comme un robot.

Il aime le travail individuel ou le travail d'équipe au sein d'une communauté coopérative.

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

a) Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ?
La coopération est essentielle au sein de ma classe d’autant plus que nous sommes nombreux (28 élèves en P 2).

Ce fut d’ailleurs un des éléments déclencheurs de cette manière de travailler. Ce qui m’effrayait, c’était d’être moins efficace avec 28 qu’avec 18 et de ne plus connaitre les enfants qui étaient face à moi. J’ai donc trouvé cette solution.

Je ne peux pas me dédoubler par contre, au sein de la classe, chacun a des capacités, des spécificités, des compétences qu’il peut partager aux autres.

Ce qui me plait aussi dans cette pratique, c’est que ce système me parait juste pour tout le monde. L’élève n’a plus à subir la classe. Il a son mot à dire dans ses apprentissages. L’instituteur, lui, connait les personnes qui partageront une grande partie du temps de l’année.

Ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est l’aspect humain. Les 2 auteurs principaux de l’année scolaire coopèrent ensemble afin de mieux vivre ensemble pour permettre à chacun d’évoluer (l’enseignant y compris !).

b) Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s’y engager ?

Tout d’abord, je pense que cela ne sert à rien d’essayer de convaincre
quelqu’un de travailler ainsi. Je pense que cela doit être le fruit d’une
réflexion individuelle.

Mais,voici les avantages que j’y ai trouvés :
! Un enthousiasme de tous (instit’ et enfants) à venir travailler ;
! Un engagement dans le travail ;
! Une volonté à s’impliquer dans les apprentissages. Il arrive souvent aux
élèves de râler parce que l’on doit arrêter et que c’est la récré…La
motivation est réellement intrinsèque.
! Je n’ai plus à jouer le « rôle de gendarme », la classe se discipline d’ellemême de par ses règles et son fonctionnement démocratique.

Chacun est important pour le groupe et chacun est responsable du bon
fonctionnement de la classe. Mon rôle se limitant maintenant à être la
garante du cadre.

Enfin, selon moi, faire le choix de la pédagogie coopérative, c’est aider les
citoyens de demain à construire une société plus juste, plus humaine et
coopérative.

Dans un monde, où l’information est disponible et accessible à une très grande partie de la population, apprendre à apprendre, est une nécessité.

Or, il est impossible de tout apprendre seul, c’est pourquoi apprendre à vivre ensemble à l’école, avoir de l’empathie est une compétence primordiale à acquérir.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

Travailler dans une classe coopérative, amène à…

! Ne plus forcément avoir le contrôle sur tout. Les enfants ne travaillent
plus d’office la même chose au même moment. Ils s’autorisent aussi à
apporter des choses qu’ils estiment important que le groupe connaisse. Ils
proposent de faire des conférences, se portent volontaires pour aller lire
des livres en maternelles, aux autres élèves de la classe….

! Faire confiance aux élèves. Croire en la capacité et à la volonté de tous de progresser.

! Faire des différences, une force plutôt qu’un handicap. On est tous
différents et c’est parce que l’on s’intéresse à des choses différentes qu’on
est aussi capable d’enrichir le collectif.

! Avoir une organisation spatiale et matérielle claire, rigoureuse de manière à ce que les élèves soient capables d’aller chercher ce dont ils ont besoin.
« Avez-vous remarqué combien vos enfants, en famille ou à l’école,
sont sages et faciles à supporter quand ils sont occupés, en
totalité, à une activité qui les passionne ? Le problème de la discipline ne se pose plus : il suffit d’organiser le travail enthousiasmant. » C. Freinet

! Accepter de ne plus être la seule personne à avoir son mot à dire. Il
arrive que certains élèves fassent une remarque à la classe en leur disant
que le code son n’est pas respecté, que le temps est écoulé …

! En résumé, c’est faire le deuil d’une dictature scolaire ! Invariant n° 2 Etre plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la
valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ?
Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?

Je crois qu’il est indispensable de ritualiser certains temps de coopération. Cela permet de rassurer les enfants car ils connaissent une partie du déroulement de la journée.

Je le fais par l’intermédiaire du plan de travail, nous y consacrons une
période tous les jours. C’est systématiquement la première heure, je trouve que c’est une belle transition entre la maison et l’école. 
Nous avons également pris l’habitude de faire le conseil de coopération le
vendredi matin.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

Cela fait maintenant 14 ans que j’enseigne et je n’ai jamais eu une seule classe difficile que ce soit chez les grands ou les petits.

Par contre, je suis convaincue qu’une des raisons qui expliquerait en partie un bon climat, c’est de consacrer chaque fois du temps en début d’année pour construire un climat/ une ambiance de travail propice aux apprentissages.

Une explicitation claire du contexte dans lequel ils évolueront : ex., savoir qu’en classe, on ne se moque pas, on a le droit à l’erreur… Concrètement, cela se fait par l’intermédiaire de jeux de connaissances, bingo de connaissances, de jeux coopératifs , …

Il y a aussi les « Quoi de neuf ? », qui donnent l’occasion aux élèves de parfois de mettre en avant certains élèves, de repérer des affinités ou des intérêts communs qui engagent des discussions. Expliciter clairement le fonctionnement de la classe

« On ne peut s'organiser librement que lorsqu'on en éprouve un impérieux besoin né de conditions scolaires ou sociales favorables. » C. Freinet
ainsi que poser le cadre permet aux enfants de savoir où ils vont. Cela fait partie de leurs besoins.

Nous créons et discutons ensemble des règles de la classe. Ils sont également informés de la loi de la classe. « …Par l’acceptation de la loi, chacun se donne le moyen de rencontrer l’autre en lui permettant à son tour sa singularité. Transgresser la loi, c’est risquer de se mettre en marge du groupe puisque c’est elle qui en est le principe fédérateur. » ( S. Connac, p33, Apprendre avec les pédagogies coopératives ed esf 2016)

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

OUI ! Ceux qui sont plus à l’aise peuvent aider les enfants en difficultés. En verbalisant, ils mettent des mots sur ce qu’ils viennent de comprendre. Ce n’est pas un exercice aussi évident qu’il en a l’air.

Cela leur permet également de développer de l’empathie, ils arrivent à se mettre à la place de l’autre … Ceux qui ont de la difficulté, peuvent avoir des aides individualisées.

Par contre, il faut veiller à ce que tout le monde soit à un moment ou à un autre aidé et aidant. Les compétences reconnues de chacun dans l’un ou l’autre domaine doivent être utilisées comme des « ressources ». Cela peut aussi passer par l’intermédiaire des métiers.

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

Invariant n° 6 Nul n'aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante.

Je suis convaincue que l’on n'obtient rien de la contrainte. Par contre, si c’est son choix de travailler seul, il faut l’y engager jusqu’au bout. Au final, il se rendra compte qu’il est bien plus simple d’apprendre en coopérant.

Toutefois, « pousser » l’air de rien les enfants à coopérer entre eux, c’est aussi peut-être l’occasion de les aider à franchir des portes qu’ils n’auraient jamais dépassées.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Je sais qu’il est possible d’apprendre à coopérer dès la maternelle car j’ai vu une classe multi – âge de petite section jusque CP qui travaillait ainsi. Il y avait des plans de travail pour les élèves de MS, à partir de la moyenne section, les enfants participaient également à des « Quoi de neuf », « Conseil de coopération », les métiers…

Les différences avec le primaire se situaient sur …

Le fait que la secrétaire du conseil était la titulaire ;
Pour le plan de travail, les élèves avaient des étiquettes à coller au lieu d’écrire.
Pour ce qui est de la progression,…

Au niveau du plan de travail : Commencer par quelques activités et complexifier au fur et à mesure de la compréhension du fonctionnement.

Au niveau du conseil : J’avais posé la question. En fait, tout a été introduit en même temps. Les enfants ont mémorisé les paroles du conseil et se sont impliqués un peu à la fois.

De plus, on peut constater que la plupart du temps les enfants qui ont des
grands frères ou des grandes soeurs à la maison sont plus autonomes, plus « à l’avance », en répercutant ce système de relation avec des plus grands et des plus petits au sein même de l’école, on peut tenter de reproduire ce genre de mise en situation.

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Tout d’abord, évaluer : oui mais sans décourager. Je l’évalue Nous l’évaluons (lors des conseils de coopération, pour les passages de ceintures) dans le bulletin de comportement.

Par contre, il n’y a pas de points. C’est simplement une information qui me permet en tant qu’élève de savoir où j’en suis pour l’instant et j’ai également une idée de ce que je peux faire pour évoluer. (voir annexe
« Bulletin de comportement ») Coopérer, c’est aussi passer par une coopération entre les élèves et l’enseignant.

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?


Les coopérations multi-âges sur une compétence ;
Le conseil coopératif ;
Les métiers ;
Le plan de travail ;
Les échanges ( Quoi de neuf, correspondances, twitter, blog…) ;
Les ceintures.

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

La première étape est de créer une bonne ambiance et un bon climat de classe.
L’objectif étant que celui-ci permette d’aider les élèves à apprendre, à oser
essayer,… sans avoir l’impression d’être sans cesse jugés.
Ensuite, commencer à mettre en place un outil à la fois, dès que l’on se sent prêt.
De s’accrocher tout en faisant confiance à la volonté d’apprendre de l’élève.
De se tenir à un emploi du temps. (Si j’ai décidé de faire une période de pdt, je la fais...). Par exemple, si j’ai prévu de faire un conseil, je l’organise. Même si j’ai « perdu » du temps et que je n’ai pas suffisamment avancé en grandeurs ou autre…

Ce sont des moments privilégiés de communication au sein de la classe,
ils sont tout aussi importants que les maths, le français… A l’enseignant
d’annoncer clairement aussi ses déceptions, ses souhaits… par rapport à ce qui se passe en classe.

Si on analyse les faits de manière juste, les élèves l’admettront sans difficultés.
Personnellement, j’ai commencé par le plan de travail (qui était loin de celui que j’utilise actuellement), j’ai poursuivi avec les « Quoi de neuf », les conseils de coopération, les ceintures de comportement.

Ce n’est pas encore fini, dans mes travaux en cours, je commence les ceintures dans quelques domaines. Cette année, j’entame les grandeurs.

La coopération s’amorce aussi au sein de notre cycle (M3, P1 et P2) et également avec une classe de P3, P5.

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?


En secondaire.
J’ai toujours eu beaucoup de difficultés en math. Et c’est ma soeur qui était pourtant plus jeune que moi qui m’expliquait. J’arrivais à comprendre et réussir les contrôles.

Par contre, lorsque je demandais à la prof, je ne comprenais jamais
car elle réexpliquait de la même façon et ne comprenait pas pourquoi je ne comprenais pas. C’était tellement évident pour elle.

A l’école normale. Lorsque j’ai fait mon année "passerelle". Le travail nous
paraissait tellement énorme et inaccessible qu’avec l’autre personne qui étudiait avec moi, nous avions décidé de nous aider pour parvenir à ce que chacune de nous puisse obtenir le diplôme.

Cela a fonctionné pour toutes les 2. Il est possible que cela ait influencé mon engagement actuel.
Pour clôturer, je dirai qu’on retient vraiment bien ce que l’on vit.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :.