la contribution de Ben Aïda

Communauté où la coopération se vit à travers tous les apprentissages scolaires, et en particulier celui de l'orthographe. C'est
ainsi que la traditionnelle dictée se mue en défi coopératif, comme il le détaille dans l'article "L'orthographe, l'affaire de tous" (paru dans les Cahiers pédagogiques n°505 - mai 2013).

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

S’engager dans les pédagogies coopératives permet de dépasser la querelle instruction/éducation. Elles permettent tout à la fois de travailler les compétences scolaires et sociales.

C‘est aussi de facto démultiplier instantanément le nombre « d’enseignant(s) » dans une classe par le biais, du monitorat, du tutorat, de l’entraide, ou encore du travail en groupes.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

Je n’appellerais pas ça des deuils car cela soutiendrait qu’il y aurait des manques ressentis après coup. Tout au plus, il y doit y avoir l’abandon par l’enseignant(e) d’un certain sentiment de toute puissance.

Accepter de faire confiance aux élèves ne lui enlève pas le contrôle en tant qu’adulte référent. C’est aussi accepter de faire confiance aux élèves quant à leurs capacités métacognitives et sociocognitives.

L’idée est en fait d’envisager l’évolution de sa pratique vers plus de coopération comme une meilleure prise en compte des facultés sociales
humaines.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ? Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?
 

La classe coopérative (mais pas qu’elle) est à la fois un espace, un temps et un groupe. Ces dimensions coexistent de façon complexe et il me semble nécessaire de mettre en place des repères qui identifient clairement la coopération, par exemple, une ergonomie de classe permettant un ou des regroupements faciles, des temps planifiés et ritualisés dédiés, et des choix pédagogiques pour la constitution des groupes ou des équipes.

La place et le temps que cela prend dans l’emploi du temps varie de mon point de vue selon que la coopération est vue comme un moyen pédagogique pour améliorer les compétences scolaires ou un objet d’enseignement à part entière.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

Commencer par poser fermement, littéralement et explicitement la Loi : « J’ai le droit (c’est-à-dire tout le monde) d’être tranquille dans ma tête, dans mon corps, dans mon coeur et dans mes affaires, ici (à l’école) et partout ailleurs ».

De là découlent les règles de vie et de fonctionnement, (prises de parole,
déplacements, rangements, répartitions des fonctions et services
« communautaires ») discutables et à discuter sur un temps institutionnalisé et apaisé.

Mettre en place des jeux coopératifs. Ce sont des outils puissants qui
remplacent les rivalités et les concurrences en émulation : faire vivre le plaisir de réussir/gagner ensemble.

Mettre en place des outils/dispositifs de régulation des conflits et de CNV.
Travailler explicitement sur l’identification et gestion des émotions pour soimême (enfant et adulte) et chez l’autre (« Je suis en colère… » plutôt que « tu m’énerves… », « j’ai besoin que… » plutôt que « tu dois… »).

Il va sans dire que tout ce travail trouve tout son sens quand il est mené/ harmonisé sur l’ensemble de l’école.

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

J’en suis convaincu, pour peu qu’elle soit mise en place avec méthode, maitrise, et réflexion partagée. Cela sous-entend la nécessité d’une formation pour les enseignants et d’un apprentissage pour les élèves : apprendre à coopérer et coopérer pour apprendre.

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

J’aurais envie de distinguer les enfants qui aiment bien travailler seuls mais sont par ailleurs sociables et ceux pour qui « l’enfer c’est les autres »

J’ai tendance à penser que les enfants qui aiment travailler seuls ne sont pas forcément réfractaires à travailler avec les autres. C’est juste une question de mesure, d’activités, de moment, et d’intérêt.

Par contre certains enfants n’aiment pas travailler avec les autres. Il me semble que pour ceux-là, souvent, ce peut être un problème d’insécurité affective ou scolaire, d’image de soi dépréciée ou survalorisée. Pas de « forçage » évidemment mais de la pédagogie pour transformer la contrainte ressentie en enjeu consenti.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Je n’ai pas d’expérience vécue directe à ce niveau mais il me semble que cela existe tout à fait avec l’adaptation nécessaire à l’âge. Les pratiques coopératives permettent justement d’accompagner les jeunes enfants à la rencontre des autres et de poser les premiers jalons sociaux.

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Oui, dans le cadre évidemment d’une évaluation positive et formatrice (« pour apprendre »).

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?

La mise en place d’institutions solides, claires et sécurisantes (telles que décrites par exemple au point 4). La coopération prend ensuite effectivement le visage des projets menés concrètement avec un groupe donné et sa dynamique propre.

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

Pour commencer, il faut commencer ! Avec mesure et raison sans révolution ni urgence.

Se rapprocher d’un groupe local d’enseignants engagés dans les pédagogies coopératives, sans oublier les listes de diffusion dédiées et les réseaux sociaux.

Participer autant que possible à des stages et de colloques d’échange de
pratiques.

Faire siens ces conseils de Daniel Hameline à une collègue initiée à la dynamique des groupes et aux principes de la non-directivité, confrontée à une classe défavorisée d’élèves en grande difficulté, (années 60) :
« Le seul moyen que tu as de les armer [tes élèves], c’est de les mener à la baguette et pied au cul maintenant. Ce n’est pas le moment de jouer avec eux la démocratie à l’école ou la non-directivité subtile et psychologiste.

Le service que tu peux leur rendre, c’est de les « rattraper » scolairement pour qu’ils ne soient pas complètement désarmés quand ils auront à faire leur trou dans une société qui déjà les écrase. Tant pis pour toi si ce n’est pas très consolant dans tes rapports avec eux. »

Il propose heureusement tout de suite après une sortie moins désespérante : « Tes gosses sont quasiment foutus pour la récolte des lauriers scolaires et les débouchés qu’elle permet. Mais ta classe peut être un lieu d’apprentissage de mille autres choses qui les armera pour la vie injuste qui les attend.

Fais de ta classe une mini-société où on ne masque pas les conflits, où on affronte la réalité des uns et des autres, où on apprend à coopérer, à organiser, à écouter, à instituer, à mesurer, les responsabilités et les champs d’initiative, à prendre conscience des contraintes de la matière mais aussi des possibilités créatives qu’elle donne… »

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

Non, finalement pas ou peu de souvenir personnel précis. Je faisais partie
justement je crois de ces élèves bons camarades qui aimaient travailler seuls ! Mon intérêt est venu plus tard à l’occasion de la fréquentation de mouvements de jeunesse et d’éducation populaire et l’animation/direction de centres de vacances.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :