la contribution de Bruce Demaugé-Bost

 Il partage ses très nombreux outils sur son blog < http://bdemauge.free.fr/index.htm>

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

Il me semble que, si l’on veut faire évoluer la société vers un modèle plus humain et plus respectueux de chacun·e, la mise en place de démarches coopératives à l’école est un des “leviers” indispensables et à privilégier.

Je ne cherche pas à « convaincre » des enseignant·e·s de s’y engager car j’ai l’impression que cela risque d’être contreproductif, avec le fameux « effet élastique » dont parlent René Lafitte et Sylvain Connac. En ce domaine, je crois plus à la vertu de l’exemple (au sens d’illustration, pas d’exemple à suivre) et au cheminement personnel de chacun·e.

En voyant d’autres modes de fonctionnement, cela peut interroger… Et j’aurais même tendance à dire que celles et ceux que cela « n’interroge pas » feront moins de mal à la réflexion pédagogique (et à leurs élèves) en ne mettant pas en place des pratiques qu’ils réprouvent (on a connu ça en France avec le « texte libre » pour tous dans les années 1970, me semble-t-il).

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

Je crois que la question du lâcher-prise est fondamentale. Accepter de ne pas avoir connaissance de tout, de ne pas tout gérer, quitte à ce que, parfois, le résultat nous déçoive (autant vis-à-vis des élèves que des collègues, d’ailleurs).

Dans la mesure du possible, j’essaie d’appliquer la règle du « c’est-celui-qui-fait qui- fait ».

Autrement dit : si l’on veut qu’une tâche soit réalisée exactement à notre façon, il faut la faire soi-même. Si l’on maintient cette exigence alors que
l’on a chargé quelqu’un d’autre de réaliser ce travail, beaucoup d’autres éléments liés à la prise de pouvoir, à la responsabilité, etc... interviennent et risquent d’entraîner des effets négatifs voire pervers.

Et le lâcher-prise est difficile lorsque l’on a un tempérament perfectionniste… ;o)

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ? Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?

J’ai du mal à dégager un temps spécifique dans l’emploi du temps… et je ne cherche pas particulièrement à le faire.

La coopération se veut quotidienne, comme une modalité « normale » de travail, mais, de temps en temps, une activité particulièrement « marquée », quitte à être décrochée du reste fait du  bien (ballon d’Omnikin, jeu du parachute, jeu de l’agent secret (http://bdemauge.free.fr/agentsecret.pdf), etc.) permettent de soigner les relations au sein de la classe.

Lorsque je sens que celles-ci deviennent tendues, je multiplie ces moments. J’en insère systématiquement lors de la rentrée, pour « souder » le groupe et intégrer les nouveaux arrivants aux deux tiers de la classe déjà présents l’année précédente.

Dans la classe, en utilisant, entre autres, l’outil Pidapi, travail personnel et
coopération s’articulent logiquement : les évaluations initiales (« préceintures ») et finales (« clés ») se font sans aide ; tous les autres temps d’apprentissage (bilans autocorrectifs, conseils, entraînements autocorrectifs) encouragent la coopération.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

« Les conseilleurs ne sont pas les payeurs »… Je peux juste dire ce que j’ai fait et qui a plutôt marché lors de moments comparables…

C’est quand une classe n’allait pas bien, vivait des moments difficiles, quand le découragement pointait, que la multiplication d’activités incitant à la coopération (cf. les exemples proposés par l’OCCE http://www.occe.coop/~ad40/spip.php?rubrique16) s’est avérée la plus
utile.

Apaiser le climat d’une classe me semble être un préalable fondamental à
un travail scolaire profitable à tous (si ce n’est pas une phrase digne d’une finale de Miss France, ça… ;o) 

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

L’objectif est que ce soit le cas. C’est peut-être plus difficile à vivre pour des élèves qui grandissent dans l’esprit de compétition, auxquels les parents mettent une certaine pression pour « être le premier ».

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

J’essaie de permettre à chacun de choisir les modalités de travail qui lui plaisent le plus.

Néanmoins, certaines activités (des « défis » thématiques, par exemple) sont organisées en binômes ou en petits groupes et peuvent en aider certains, qui préféreraient spontanément travailler seuls, à s’apercevoir de l’intérêt de coopérer avec des camarades.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Je n’ai pas d’expérience suffisante en maternelle pour avoir un avis étayé sur ce point… Néanmoins, j’observe que des collègues « Freinet » parviennent à mixer les caractéristiques extrêmement « individualisantes » des outils Montessori avec un fonctionnement collectif nettement plus marqué par la coopération.

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Halte à l’évaluationnite aigue ! ;o) On voit cependant que, même Pisa, à un niveau international, s’intéresse à la capacité que peuvent avoir les élèves à travailler collectivement, appelée « collaboration ».

Que la coopération soit quelque chose à développer, sans aucun doute, mais j’appréhende la manière très techniciste et déshumanisée que l’Éducation nationale française est capable de mettre en oeuvre pour aborder la chose.

J’en prends pour exemple une demande locale de formation école-collège sur la place de l’oral en classe, qui a été transformée par la hiérarchie en conception de dizaines de grilles d’évaluation des prises de parole des élèves dans chaque discipline. Grilles qui ne quitteront certainement aucun tiroir à l’avenir.

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?

L’absence de classement et de compétition, en dehors de quelques activités clairement marquées comme « ludiques » et/ou sportives.

Une valorisation de l’entraide, du tutorat, des réussites et comportements positifs collectifs.

Une volonté d’aider les élèves à gérer les conflits de façon non-violente et posée.

Des moments de partage plus informels (marchés de connaissances, repas du monde, jeux coopératifs… par exemple).

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

Argh… J’ai horreur de donner des conseils. Alors, si je n’en donnais qu’un, ce serait de ne pas suivre les conseils.

Lorsqu’on les suit et que le résultat se révèle décevant, cela « déprofessionnalise » l’enseignant : plus ou moins consciemment, cela se traduit par « non seulement je ne parviens pas à construire moi-même les réponses à mes questionnements mais, en plus, lorsqu’on me fournit lesdites réponses, je n’arrive pas à les mettre en place correctement ».

Dans nombre de groupes de pédagogie institutionnelle, un des maîtres-mots est « ne rien dire que nous n’ayons fait ».

Je crois plus au partage d’expériences et à l’analyse de pratiques, dont il est possible, ou pas, de s’inspirer ensuite pour permettre à chacun d’étayer et de développer ses savoir-faire et son professionnalisme. Une
fois de plus, les « conseilleurs ne sont pas les payeurs ».

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

Pas le moins du monde. J’ai grandi dans des écoles très traditionnelles (et, finalement, ne se construit-on pas qu’en référence, pour ou contre, l’éducation que l’on a reçue ?).

Le premier vrai souvenir de coopération que j’ai date sans doute de l’IUFM, lorsque bon nombre des étudiants de ma section se sont proposé de s’entraider entre midi et deux pour préparer ensemble le concours.

Nous avons obtenu le meilleur taux de réussite parmi les 14 sections lyonnaises…

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul: