la contribution de Céline Buchs

Ses intérêts de recherche portent sur les dimensions sociales dans les situations d’enseignement-apprentissage.

En préambule, il me semble important de préciser que je m’appuie sur l’approche nordaméricaine « cooperative learning » (Voir Johnson, Johnson & Holubec, 2008) pour réfléchir à la coopération en classe au service des apprentissages.

Cette approche que je qualifierais d’« Apprendre (par) la coopération » propose des principes pour structurer les interactions entre élèves de manière coopérative.

Pour information, j’en ai proposé une synthèse lors de la conférence de consensus sur la différenciation avec une note de synthèse consultable à l’adresse suivante. http://www.cnesco.fr/fr/differenciation-pedagogique/


Je joins en annexe une représentation visuelle des principes qui nourrissent ma réflexion, issue de cette conférence. Je tiens à souligner que mes propositions de réponses ont été enrichies grâce à la discussion avec mon collègue Yann Volpé, Chargé d’enseignement dans la section des sciences de l’éducation, Université de Genève.

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

Les interactions coopératives entre les élèves dans les activités scolaires me semblent particulièrement importantes car elles offrent des occasions aux élèves de s’engager socialement et cognitivement dans les activités scolaires.

Ces interactions soutiennent l’intégration sociale au sein de la classe et la qualité des apprentissages grâce aux occasions de verbalisation, de discussion des contenus, des démarches et des stratégies.

Ainsi les interactions entre pairs renforcent potentiellement le sentiment d’appartenance, d’autonomie et de compétence qui renforcent la motivation à apprendre.

De plus, la mise en interaction des élèves permet à l’enseignant-e de les observer et écouter en cours de travail. Grâce à ette proximité l’enseignant-e peut repérer les difficultés et les forces des élèves, apporter des régulations interactives sur le moment pour les élèves concernés, et utiliser les informations recueillies pour adapter son enseignement pour le groupe classe.

Les recherches ont identifié des bénéfices de dispositifs coopératifs sur la qualité des apprentissages scolaires, les relations sociales, ou encore sur la motivation et l’ajustement psychologique des élèves.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de  renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

La pédagogie coopérative entraine un changement de posture de l’enseignant-e. Dès lors, son rôle est de penser au préalable la manière de structurer les interactions entre les élèves de manière à les engager cognitivement et socialement sur la tâche scolaire.

Nous pourrions parler de déléguer l’autorité au cadre instauré par le dispositif et par conséquent aux élèves pour laisser ceux-ci travailler sans supervision directe de l’enseignant-e.

L’enseignant  se place ainsi dans une position d’observation des processus d’apprentissage et intervient de manière ciblée auprès de certains groupes, ce qui peut lui faire craindre de perdre le contrôle sur tout ce qui se passe en classe.

Face à cela, je réponds souvent qu’en tant qu’enseignante, lorsque je transmets des informations, même si les personnes semblent m’écouter, je ne peux pas savoir ce qu’elles entendent, ce qu’elles comprennent et ce qui se passe dans leur tête.

Lorsque je circule, je ne vois pas tout et n’entends pas tout. Dans ces deux situations, il est effectivement nécessaire de faire le deuil de tout contrôler.

Néanmoins, la présence de l’enseignant-e dans les travaux coopératif est assurée par le dispositif pensé à l’avance (contenu, consignes, structuration du travail de groupe entre élèves) qui explicite ce qui est attendu en termes de comportements, interactions, procédures et stratégies.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à lavalorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiterdes opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ? Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi dutemps de la semaine de classe ?

Différents moments de coopération peuvent être instaurés en classe. L’enseignant-e peut alterner entre :

- des moments pour préparer les élèves à coopérer (favoriser le climat et l’esprit d’équipe, travailler explicitement les habiletés coopératives, faire réfléchir les élèves sur leur fonctionnement en équipe) ;

- des travaux de groupes structurés de manière coopérative à l’aide des principes (interdépendance positive, responsabilité individuelle au sein de petites équipes).

Instaurer des routines permet de faciliter la mise en route, de réduire progressivement le temps de mise en route et de gagner en efficacité. Ces moments ne sont pas du travail à réaliser en plus à la grille horaire, mais cela permet de travailler grâce aux interactions les différentes tâches didactiques au programme de l’enseignant-e. 

L’explicitation de ce qui est attendu et la créationd’un climat positif favorisent la mise en place de conditions favorables au travail en limitant progressivement le temps dédié aux interventions relatives à la
gestion de la discipline.

L’équilibre entre les différentes modalités de travail (individuelle, en groupe, collective, etc.) dépend des choix de chaque enseignant-e. L’idée est d’utiliser les interactions entre élèves pour les engager et lorsque l’enseignant-e les met en interactions de réfléchir comment maximiser la probabilité que chaque élève participe activement.

L’enseignant-e peut alterner des moments d’échangecourts entre élèves et des travaux de groupes coopératifs plus conséquents plus structurés.

Je garde en tête que les moments individuels sont importants y compris dans la coopération. Avant de mettre les apprenants en interaction, je propose une phase de réflexion ou un travail individuel pour que les élèves soient prêts à partager.

De plus, j’évalue de manière individuelle ce que les apprenants ont compris et retenu suite aux travaux de groupe. Ceci permet de renforcer la responsabilité des élèves dans leurs apprentissages et dans les apprentissages de leurs camarades.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ? 

La coopération va travailler différents paramètres de manière à transformer la dynamique de la classe en un cercle vertueux en explicitant :

1) L’orientation du climat motivationnel de la classe. Il s’agit d’orienter la motivation des apprenants sur des buts de maitrise, c’est-à-dire sur le développement de leurs connaissances et de leurs progrès personnels plutôt que sur des buts de performance qui reposent sur la recherche de jugements positifs de la part de l’enseignant-e et la comparaison avec les autres apprenants.

2) Les valeurs (confiance, entraide, etc.). Je soulignerais que la relation de confiance réciproque entre l’enseignant-e et les élèves me semble primordiale. Cela permet d’établir des normes de travail et des routines
communes à l’ensemble de la classe et auxquelles les élèves pourront se référer.

3) La qualité des relations entre élèves de manière à ce qu’un esprit d’équipe puisse se construire progressivement et par conséquent un sentiment d’appartenance à la culture de classe.

Dans notre société individualiste et compétitive, il me semble important que l’enseignant-e crée un climat constructif pour la qualité des relations et des apprentissages pour que les élèves osent coopérer.

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

Je dirais que la mise en place de dispositifs coopératifs amène une participation active dans le sens où les élèves s’engagent cognitivement, verbalisent, expliquent, discutent, comparent des stratégies, des procédures et des résultats. C’est cette participation active qui soutient les apprentissages.

Les résultats de recherche montrent qu’en moyenne l’ensemble des élèves bénéficient de dispositifs coopératifs structurés, et que ces dispositifs contribuent à réduire les différences entre les élèves de niveau fort et faible.

Cependant, l’enseignant-e propose, les élèves disposent. Les élèves qui ont de la difficulté à prendre ce rôle actif (quelle que soit la raison) manquent cette opportunité.

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

Rendre intéressantes les tâches, amusantes les activités, souligner ce que les élèves en retirent permet d’amener les élèves réticents à entrer dans les structures coopératives.

De plus, souligner que participer à ces interactions permet de mieux apprendre soi-même peut embarquer certains élèves.

J’ajouterais que dans certaines situations les élèves n’ont pas vraiment le choix, car dans de nombreux plans d’études, la collaboration ou la coopération fait partie explicitement des objectifs d’apprentissage, il est donc important de faire progresser les élèves sur ces aspects et de les outiller.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

De mon point de vue, la démarche est la même aux différents âges : se baser sur les élèves que l’on a, les moyens d’enseignement et les objectifs d’apprentissage pour se demander comment rendre possible et nécessaire la participation active de chacun.

Dans chaque contexte, l’enseignant-e peut trouver des caractéristiques qui facilitent ou compliquent la mise en place de dispositifs coopératifs.

Introduire la coopération de manière progressive et prendre le temps de préparer les apprenants, quel que soit leur âge à coopérer, me semble important.

Chambers et al. (1997) soulignent des caractéristiques des jeunes élèves qui pourraient compliquer les travaux de groupes coopératifs (égocentrisme, habiletés sociales peu développées, attention de courte durée, besoin de gratification immédiate, habiletés langagières limitées, impulsivité, capacité de lecture restreinte) ou les favoriser (curiosité, besoin de socialiser, faible conscience de la différence entre garçons et filles, peu d’idées préconçues sur l’école, besoin de bouger).               

Certains livres francophones s’emparent spécifiquement de cette question (Canter & Peterson, 2003 ; Chambers et al., 1997 ; Poisson & Sarrasin, 1996 ; Potvin et al., 2005).

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?


A partir du moment où l’enseignant-e introduit deux objectifs (un objectif sur le contenu relatif à la discipline scolaire et un objectif en lien avec la coopération), il me semble important de faire réfléchir les apprenants sur ces deux objectifs.

La réflexion critique permet aux élèves de réfléchir sur la manière dont ils se sont comportés et sur le fonctionnement de l’équipe.

Cela pousse l’enseignant-e à donner des retours sur la base de ses observations. Cette réflexion permet de souligner les aspects positifs et ceux à améliorer. Elle porte autant sur les comportements que sur les stratégies et procédures mises en place. Cette évaluation formative permet aux élèves de progresser.

Selon les plans d’études, la coopération ou certaines de ses composantes font partie des objectifs d’apprentissage (par exemple, les capacités transversales dans le plan d’études Romand en Suisse romande).

Cela pointe la nécessité d’expliciter ce qui est attendu, comment les élèves peuvent mettre en oeuvre des comportements appropriés et comment ces objectifs seront évalués.

¨La pédagogie coopérative offre des pistes pour articuler les domaines disciplinaires et les capacités transversales (Buchs, 2016).

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?

Garder en tête que les interactions coopératives visent à favoriser la participation active de tous les élèves dans les activités scolaires et entrer par les principes pour préparer les élèves à coopérer et organiser les interactions permet d’ouvrir des pistes de réflexion sans pour autant proposer de pratiques formatées.

Il me semble essentiel que les enseignant-e-s mettent en place des dispositifs dans lesquels ils se sentent à l’aise et confortables.

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

De veiller à travailler le climat de classe de manière à ne pas s’épuiser en ramant à contre-courant.

Dans la mesure où les élèves sont socialisés dans une société et un système scolaire individualistes voire compétitifs, il ne suffit pas de demander aux élèves de coopérer pour qu’ils aient envie de le faire et sachent comment s’y prendre.

Il est important que les élèves perçoivent que la coopération est un outil pédagogique au service de la qualité des relations sociales et des apprentissages de chaque élève et que l’enseignant explicite pourquoi et comment coopérer.

Introduire à petits pas la coopération en soulignant le lien avec les objectifs d’apprentissage et mettre des dispositifs avec lesquels l’enseignant-e est confortable me semble important.

Commencer par des structures coopératives simples qui mettent régulièrement les élèves en interaction me semble un bon point de départ qui permet à l’enseignant-e de pouvoir adopter une proximité lorsqu’elle-il observe les élèves.

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?


Je n’ai pas de souvenir personnel de coopération à l’école. Mon intérêt vient de mon questionnement lorsque j’ai commencé à enseigner à l’université face à des groupes d’étudiants relativement passifs et peu engagés lors des enseignements.

Ceci a entraîné une réflexion avec l’équipe pédagogique sur la manière d’engager les apprenants. Le collectif vient alors soutenir les apprentissages individuels.

Préparer les élèves à coopérer, organiser les interactions lors du travail

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :