la contribution de Christian Rousseau

Après avoir été président de l'ICEM (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne), il est toujours membre actif du mouvement Freinet.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

La coopération à mon sens n'est pas une valeur. C'est un moyen de socialisation au service d'un projet commun. Pour comprendre ce que coopérer veut dire, il faut conduire sa classe d'un statut de société vers une communauté.

Une société est composée d'individus qui ne se connaissent pas, qui ne se sont pas choisis mais qui vivent dans un espace commun avec des règles communes qui s’imposent à priori à tous. Ces règles sont explicites et assez peu négociables.

En revanche, une communauté se définit par une culture commune à l'ensemble des individus la constituant, par une connaissance à minima de chacun de ses membres par ces mêmes membres.

La coopération suppose une volonté de construire un projet commun où chaque personne concernée apportera sa contribution en fonction de ses compétences.

Ça ne peut être une fin en soi. Selon les situations données, selon les
disponibilités de chaque enfant, la coopération pourra être ou non une réponse adaptée.

Si coopérer ne va pas de soi à priori, il s'agira pour l'enseignant d'encourager ce comportement par sa propre démarche coopérative s'il veut qu'elle devienne un comportement observable dans la classe.

Pourquoi coopérer ? « Personne ne sait tout mais tout le monde sait quelque chose ». Penser à plusieurs, réaliser à plusieurs offrira des réponses aux problèmes bien mieux adaptées que seul dans son coin avec ses moyens naturellement limités.

Nous sommes par nature, par nécessité des être sociaux. La complémentarité des compétences et des intelligences conduisent vers une plus value qui, de surcroit réduira le risque d’erreur de jugement.

Encore faut-il que chaque membre d'un groupe constitué ait conscience des compétences en présence. Ce qui justifie de transformer un groupe classe constitué en société en début d'année, en communauté.

Pour qu'elle se réalise, il faut multiplier les rencontres, autrement dit favoriser au maximum les interactions et interrelation entre membres de la future communauté. Sorties, discussions, débats, actions collectives … « Laisser faire » le plus souvent possible.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

La pédagogie Freinet, c'est accueillir l'inattendu et accepter l'incertitude. Quand on individualise les apprentissages, quand on tient compte de la singularité de chacun, le temps de chacun n’est plus celui de la classe, du maître et de l’institution.

Or les enseignants n'aiment pas l'imprévu. On leur enseigne du reste
durant leur formation d'anticiper à la fois les réponses verbales et
comportementales et même d'orienter les processus vers ce qui est attendu, inscrit dans le programme.

Cela se traduit chez l’enseignant par le sentiment qu’une journée est achevée positivement quand il a réussi à faire … ce qu’il avait prévu de faire !
Instaurer une culture coopérative ne va pas de soi et ne peut s'envisager d'une façon directive. Lâcher prise. Laisser faire. Laisser aller. Laisser s’exprimer. Et c’est tellement facile à dire et à écrire !!!


6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

Encourager et ne pas contraindre. Encore une fois, la coopération ne doit pas s’inscrire dans une classe comme un dogme.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Ce sont les approches éducatives informelles qui peuvent nous aider à
comprendre comment conduire les jeunes enfants vers plus de coopération.

Dans une classe, c’est la force du collectif qui conduit chacun à adopter, à
accepter, à imiter, à composer des réponses comportementales adaptées et partagées selon le rythme propre de chacun. La patience est une vertu
essentielle qui manque trop souvent au pédagogue.

Connaissez-vous cette vidéo, qui ne démontre rien, mais qui nous fait sentir du bout du concept que, peut-être, il y aurait dans les formes d’actions coopératives quelque chose de naturel ?
https://www.youtube.com/watch?v=IGQ9i-xdruc


L'enfant est certes autocentré, mais la sécurité affective est essentiel dans sa capacité à s'autoriser à faire avec les autres. Si bien que je n'ai jamais vu un enfant de 3 ans à qui je demandais gentiment de m'aider à ranger, à ramasser du matériel, me refuser son aide, du moins, une fois familier de son enseignant.

Je n'ai jamais vu un enfant refuser la même aide pour un camarade qui se trouvait en difficulté après avoir renversé sa boite de mosaïques.

Un enfant tombe accidentellement : vous verrez des comportements très
différents parmi lesquels de l'entraide pour prévenir son enseignant et/ou pour aider l’enfant à se relever, pour l’accompagner vers la boite à pansements.

C'est le milieu qui sera déterminant des comportements à venir. L’enseignant devra se montrer fréquemment coopératif.

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Non ! Du moins pas du point de vue des enfants. C’est à l’enseignant ou à un regard extérieur de juger si les formes coopératives de travail existent au service du projet collectif observé. Il s’agit de considérer la coopération comme un moyen pour travailler au mieux et de valider sa présence dans les stratégies envisagées par les enfants dans leurs travaux.

Evaluer : « je suis capable de coopérer » n’a pas de sens. Répondre à l’item : « il y a de la coopération spontanée dans ma classe » me semble une forme d’évaluation plus naturelle et autrement plus aboutie.

J'ai assisté cet été, au cours d'un colloque sur la pédagogie Freinet, à la
présentation d'une « recherche » réalisée par des enseignants formateurs de professeurs de sport. 2 groupes étaient en présence à qui on proposait un protocole d'activités semblables avec, pour l'un, une nécessité de collaborer pour atteindre l'objectif et pour l'autre, une démarche plus individualiste.

A la fin de l’expérience, chaque « élève professeur » subissait un entretien pour dire ce qui lui avait paru être des obstacles ou des éléments facilitateurs à la tâche demandée. Résultat : les formes collaboratives furent considérées comme des valeurs plus positives que les autres.
Bien.
« Des questions ? »
Oui, combien de fois ces situations avaient-elles été proposées aux professeurs stagiaires ? 6 ou 8 fois … totalement insuffisant pour en tirer des conclusions qui, cependant, avaient fait l'objet au moins d'une publication dans une revue « sérieuse ». À vrai dire, pas très sérieux que tout cela.

Ces résultats étaient étayés sur d'autres expériences équivalentes menées au Québec. Les enseignants chercheurs croyaient dur comme fer à la pertinence de leur expérience semblant abonder dans le sens d'un des fondements de la PF.

Ce jour là nous étions deux militants du mouvement Freinet présents parmi d'autres universitaires. Nous avons émis de nombreuses réserves : les comportements coopératifs, pour qu'ils soient considérés comme positifs doivent être observables dans un groupe donné, dans des situations spontanées, répétées et non orientées.

Dans nos classes, ces comportements s'installent petit à petit, au fur et à mesure qu'une culture communautaire s'ancre durablement, avec des
encouragements répétés de l'enseignant.

4, 5, 8 séances ne signifient rien de la présence de comportements coopératifs au sein d'un groupe. Tout au plus, elles font prendre conscience que c'est mieux, mais ne disent pas comment.

Autrement dit, les comportements de type coopératifs s'installent sur un temps long, continu et routinier.

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

J'ai connu une école très ordinaire, très convenue. Si, en effet, on ne prêche que des convaincus, c'est le sentiment d'injustice qui probablement a nourri mon désir d'enseigner autrement.

L'école est le lieu par excellence où les enfants font l'expérience de l'arbitraire, de l’indifférenciation, souvent exprimés par les adultes en toute bonne foi, pensant faire au mieux … puisque tout le monde fait
pareil !

Or, peut être par mes difficultés de socialisation, d'insertion, decompréhension, j'ai eu très tôt conscience de ma singularité, me révélant par delà celle des autres.

Si bien que, quand on me jugeait, quand on se moquait de moi, quand la loi du plus fort régnait dans la cour de récréation et que j'en subissais les conséquences dans l'indifférence de celles et ceux qui étaient censés
me protéger, je creusais profondément dans ma mémoire le sillon d'un
sentiment d'une grande injustice dans le monde en général et à l'école en
particulier, largement confirmée par ce que j’observais autour de moi.

Chacun devait être en droit de demander des comptes à chacun. Chacun avait le devoir, si nécessité, de rendre des comptes à chacun.

Plus tard, comme enseignant, l'obsession de la différenciation des rythmes, des capacités pour chaque enfant dans ma classe m'a conduit tout naturellement vers la pédagogie Freinet qui, dans un premier temps, m'a apporté des outils pédagogiques, des techniques, puis, plus tard, assez naturellement, une vision plus politique de l'organisation sociale.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :.