la contribution de Claire Héber-Suffrin

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

On apprend ce qu’on vit. En même temps que des connaissances et des savoirfaire, les élèves apprennent – sans s’en rendre compte – les systèmes, les statuts, les démarches… dans lesquels et par lesquels ils apprennent.

La première question que nous devons alors affronter est celle-ci : que voulonsnous qu’ils apprennent comme humains qui vivront avec d’autres, continueront à apprendre, fabriqueront notre monde ? Compétition ou coopération ? Consommation ou contribution ? Conformisme ou esprit critique ?

Questions de choix éthique, pédagogique, politique !
Ils apprennent ce qu’ils vivent, donc à apprendre ! Comment ? Seuls en croyant pouvoir observer, comprendre et analyser, agir et créer seuls ?

Cela n’arrive jamais. On ne peut observer autrement qu’en partageant les perspectives, analyser qu’en multipliant les points de vue et les confrontations, appositions, compositions . Idem pour l’action. Ils doivent l’apprendre pour apprendre ce qu’est « Penser ». On ne pense qu’en interactions.

Coopérer pour apprendre à penser, à questionner… Question épistémologique ! Ils aiment coopérer ! Très tôt, dans leur toute première enfance, les enfants coopèrent pour jouer, pour essayer et créer, pour partir à l’aventure et découvrir leur monde.

Les faire réussir tous à l’école, c’est entrer dans cette continuité psychoaffective. Ils apprennent mieux parce qu’il y a dans la coopération une émulation, un soutien et de l’entraide, des formes de réciprocité (celui qui aide progresse dans ses apprentissages, celui qui demande de l’aide se fait chercheur de savoir), des formes de mutualisation, des expériences de complémentarités et de reconnaissance de la force de la parité et de l’altérité.

Les motivations s’enrichissent des rencontres positives.
Ils doivent apprendre par l’expérience que nous avons tous intérêt à
l’enrichissement intellectuel et moral de tous. Une classe qui fait réussir tout le monde, qui détecte des excellences multiples est une classe où on est heureux et où chacun réussit mieux.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

- Une forme de sécurité, celle donnée par des interventions préparées à l’avance contre une insécurité due aux inattendus forcément liés aux interactions entre élèves.

Mais pour gagner une autre forme de sécurité liée aux intérêts que cela déclenche chez les enfants : passions, enthousiasmes, implications… ils sont reconnaissants à leur enseignant de pouvoir vivre ces ressentis.

- Une forme d’autorité : « Je suis celui qui sait », je suis celui qui vous dit ce que vous devez faire et comment », « Je suis celui qui construit et projette tout ce qui va se passer ».

Les inattendus, les imprévus, les mouvements physiques, mentaux, relationnels que déclenche et nécessite la coopération semblent plus difficiles à « contenir » : bruits, déplacements, ne pas pouvoir tout voir ni tout maîtriser », etc. mais on y gagne une autre dimension de l’autorité : celui qui est auteur d’une dynamique, celui qui s’autorise et autorise à essayer, à inventer, à produire, à être auteurs.

- Une forme de maîtrise. (Voir ci-dessus dans « Autorité »). Le programme, dont je suis garant, protège des déviations, de l’inattendu. Je veux être celui qui est seul garant : physiquement, mentalement, affectivement, que je puisse toujours contrôler, orienter…

L’acceptation de ce que l’on ne maitrise jamais tout permet souvent que naissent, dans les interstices, des trouvailles, des perles…

- Des formes de reproduction de ce que l’on a vécu soi-même.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ? Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?

On peut faire tout à la fois :
- Des moments précis clairement annoncés ainsi
- Profiter des opportunités
- Créer un climat de classe
Ou commencer par choisir ce dans quoi on sera plus à l’aise :
- Coopérer dans telle matière, pour tel projet, à tel moment
- Se saisir d’une trouvaille, d’une motivation, d’une idée, d’une rencontre,
pour ouvrir vers un apprentissage coopératif, une création coopérative …

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

Les tensions, les rivalités et les disputes sont les signes de ce qu’ils reçoivent de la société (rôle énorme des médias et des jeux vidéo), de la famille quelquefois et de l’école !

Poser la question de la règle du jeu de la classe : la construire ensemble !
Leur proposer des projets suffisamment motivants pour qu’ils aient envie
d’essayer de contribuer, d’attendre quelque chose des autres.

Valoriser toutes les formes d’entraide et de coopération, même celles qui
semblent anodines. Force de la reconnaissance. Un enfant agressif n’a-t-il pas manqué de signes de reconnaissance ?

Partir sur ce qui les intéresse de façon singulière dans ma classe (dans un temps maintenant assez éloigné), l’importance qu’a eue la danse pour une de mes élèves, sa passion pour le cheval pour un autre…

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

OUI ! Mais il est important de prendre le temps pour que tous s’y retrouvent ! Je me souviens d’un petit Claude (CM1) qu’au bout de dix jours de classe coopérative j’ai trouvé en larmes : « je n’y comprends rien dans cette classe ».

Nous avons pris le temps, c’est lui qui conduisait, je le suivais… Je l’ai revu 36 ans après et il racontait combien ces deux ans de classe coopérative avaient compté dans sa vie ; il y avait d’ailleurs – c’est lui qui le dit – trouvé sa vocation de menuisier (grâce à des échanges réciproques de savoirs faits à l’extérieur de l’école mais dans le cadre scolaire) et il posait cette question : « pourquoi, dans l’éducation nationale ne reproduit-on pas ce qui marche ? ».

Mais elle ne sera pas bénéfique de la même manière ni dans le processus ni dans ses effets.

Important de toujours articuler reconnaissance absolue des singularités de chaque enfant et dynamiques, démarches, projets coopératifs !

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

C’est vraiment un chemin. A mon sens ils devraient tous apprendre et à
travailler seuls et à coopérer. Chercher avec eux ce sur quoi ils pourraient
aimer coopérer.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Je viens d’observer (un ouvrage est en cours pour publier l’expérience en 2018) une classe de Grande section où la maitresse a lancé la dynamique des échanges réciproques de savoirs !

Un bonheur à voir. On voit ces petit bouts de chou chercher ensemble (en interactions) ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas, décrire ensemble leurs savoirs, faire des offres et demandes de savoirs, échanger
puis raconter à tous comment ils s’y sont pris, ce que ça leur a fait, etc.
Impressionnant d’intelligence ! Et cela dans un des quartiers les plus « sensibles » de la région parisienne !...

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Oui, si l’on entend évaluer par « faire ressortir la valeur », reconnaitre les
coopérations (et savoir inventer des formes de reconnaissance qui ne suscitent pas à nouveau des rivalités ou de l’accumulation personnelle : genre objets…), les aider à en parler, à voir leurs effets positifs, à
parler aussi des difficultés sans attaquer « l’autre ».

Inscrire dans le déroulement de la classe ces moments où en parler, où parler de la richesse de la coopération devient une vraie forme de reconnaissance par tous. Oui si l’on entend Valeur par « Forces de vie » !

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont lespratiques qui vous paraissent essentielles ?

Projets passionnants communs
Classe coopérative (Freinet)
Projet d’apprentissage réussi pour tous
Echanges réciproques de savoirs
Théâtre-Forum pour apprendre ensemble à parler des difficultés en vue de les résoudre ensemble.
Ouverture de l’école...

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

Essayer là où il est à l’aise, là où c’est facile.
En parler à celles et ceux qui le font déjà, savoir demander des conseils.
Faire une formation.
Essayer de travailler en équipe d’enseignants.
Penser aux expériences de coopération qu’il ou elle a vécues dans sa vie
familiale, amicale, associative et s’appuyer sur les outils qui lui ont servi, les questions posées … : autrement dit, ne pas découper sa propre vie en tranches, en silos, en clapiers !

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

A l’école, non.
Oui :
En famille.
Dans le monde de l’éducation populaire.
Dans une année dans une école d’éducateurs.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :.