la contribution de Laurent Lescouarch

Laurent est maître de conférences au département des Sciences de l'Education de l'Université de Rouen.

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

Elle change totalement la dynamique de classe en enrichissant les possibilités de différenciation pédagogique par l’entraide, le travail partagé.

Sur le plan du vivre ensemble, elle est également une entrée permettant de sortir du face à face « prof-élève » pour aller vers une régulation collective des apprentissages et de la vie du groupe.

Dans les classes pratiquant ces pédagogies, le climat est généralement plus serein avec des élèves habitués à la discussion et à la pensée critique.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

Il faut faire le deuil de l’idée que le seul transmetteur de savoir serait l’adulte enseignant et accepter que les apprentissages formels et informels liés aux échanges entre élèves soient tout aussi déterminants.

D’autre part, il faut accepter de changer de posture dans la relation au pouvoir et à l’autorité pour laisser de la place aux élèves dans la prise en charge d’éléments de la vie collective, de leur déléguer une partie de la responsabilité des prises de décision sur la régulation des conflits, les projets et le déroulement des apprentissages.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ?Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?

Si on vise à développer plus de coopération au sens de l’entraide, du travail collaboratif partagé, elle doit s’inscrire à un premier niveau dans tous les processus pédagogiques et didactiques quotidiens : prendre l’habitude de demander de l’aide quand on ne sait pas, prendre l’habitude d’aider, de coévaluer, de se mettre d’accord pour élaborer des réponses communes ou des projets communs. Cela fait alors partie du nouveau contrat pédagogique de la classe.

A un autre niveau, dans une classe coopérative, ce fonctionnement doit être régulé par des instances collectives de décision qui ne peuvent fonctionner que si elles sont clairement à l’emploi du temps : quoi de neuf ?/ conseil coopératif / bilan météo quotidien sont autant de moments où se décident les règles, les manières de travailler ensemble et prennent 2 à 3h hebdomadaire sur l’horaire de classe en fondamental.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

Les pédagogies coopératives sont nées de ce type de situations. C’est en
instaurant des espaces de parole ritualisés (et très cadrés), des règles qui vont être travaillées collectivement pour qu’elles soient comprises (et non seulement subies) qu’on peut commencer à introduire l’idée forte d’une classe coopérative : le comportement de chacun doit permettre le travail de tous et on est tenu de rendre compte de ses actes à la collectivité.

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

Certains ont sans doute moins besoin que d’autres d’inscrire leurs
apprentissages dans un contexte collectif mais dans la mesure où la dynamique coopérative est un plus, un enrichissement des logiques d’apprentissage, je pense qu’elle est positive pour la plupart des élèves et n’est pas négative pour les autres si on pense un espace dans lequel l’activité plus individuelle reste possible.

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

Je répondrai en Normand. Cela dépend de pourquoi ils veulent travailler seuls. Si c’est par refus d’entrer en relation avec les autres, je crois qu’il serait important de les accompagner dans l’idée de collaborer à certains moments avec d’autres car c’est une compétence sociale importante (dans le monde du travail et la vie sociale, on travaille rarement seul)
 

Si par contre, un enfant qui est bien intégré dans le groupe souhaite s’isoler à certains moments pour travailler seul pour des raisons de confort, je ne vois pas pourquoi on l’en empêcherait. C’est une question d’équilibre.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

Les recherches sur les classes Freinet en maternelle (ou sur les aides informelles en classe Montessori) me montrent à chaque observation le contraire.

Les enfants ne sont pas dans des registres collaboratifs très élaborés mais ils sont capables de jouer ensemble, de se montrer, s’aider pour faire et c’est un premier pas vers la coopération.

Tout est une question de degré et pour les jeunes enfants, il faut effectivement ne pas être trop ambitieux dans la formalisation des coopérations mais une dynamique coopérative peut être instaurée dans les habitudes de vie de la classe.

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

On peut y être attentif comme un indice de réussite éducative qui peut être
évalué par observation mais je crois que l’on n’a pas intérêt à en faire un objet trop formalisé.

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?

Je suis très sensible au fonctionnement coopératif de la classe avec ses
institutions et ses ritualisations (qui permettent d’organiser le travail et réguler le vivre ensemble) et, dans le registre des apprentissages scolaires, à la dimension des étayages entre élèves, formalisés (tutorat) ou non (entraide)

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

Commencer petit… et instaurer les outils progressivement.
Sur le plan du cadre coopératif, en instaurant un espace de discussion régulier pour faire le bilan des activités journalières, ce qu’on a appris et comment s’est passé la journée afin d’instaurer progressivement un moment de réunion collective formalisé pour discuter des modes de travail et des règles du vivre ensemble.

Sur le plan des pratiques quotidiennes, en encourageant les entraides entre élèves, en favorisant des moments de travail en binômes d’élèves (plus facile à faire que le groupe) pour chercher à rendre « normales » les coopérations dans la classe.

Tout cela pourra ensuite être plus développé et institué.

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

Mes souvenirs coopératifs ne sont pas liés à l’école mais aux espaces d’éducation populaire (animation socioculturelle, encadrement sportif) dans lesquels j’ai pu vivre à l’âge du lycée la prise de responsabilité, la participation à la construction de projets collectifs et la recherche de manières d’ « apprendre autrement » qui ont certainement orienté mon intérêt et mon engagement sur ces questions.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul: