la contribution de Pierre Cieutat

1. Pourquoi la coopération en classe vous semble-t-elle importante ? Quels arguments mettriez-vous en avant pour convaincre des enseignants de s'y engager ?

Je mettrais en avant plusieurs aspects :
• Améliorer la qualité des relations entre les élèves dans les classes. Elle
développe des interdépendances positives et permet de se sentir plus en
confiance dans le groupe. Les autres et moi nous pouvons nous aider et
réussir des choses ensemble nous sommes là pour cela aussi.

• Elle permet aux enfants de se trouver dans des situations originales
d’apprentissages. Aider quelqu’un sans lui donner la réponse oblige à des
gestes mentaux qui sont profitables aux apprentissages de celui qui aide
(!). C’est pour cela que l’on a intérêt à ce que tout le monde puisse aider.

• Elle permet aussi de travailler la relation au sens de l’école. Nous sommes à l’école pourquoi ? Si c’est pour faire des exercices justes alors la coopération la plus efficace est de se donner les réponses. Si on ne se
donne pas les réponses alors comment aider ?

• La coopération permet à l’enseignant de ne plus être la seule ressource
d’aide pour les élèves. Petit à petit il peut s’autoriser à accompagner des
projets individuels ou en petits groupes d’élèves car les autres élèves travaillent sans lui.

Il développe ainsi une forme plus intense de différenciation. Il peut même arriver à une individualisation des apprentissages à certains moments. (Temps en autonomie, plan de travail etc...)

• En permettant l’existence de projets pour ces élèves, la coopération augmente l’intensité de l’engagement de certains élèves dans leurs
apprentissages.

2. Tout changement de pratique pédagogique suppose de renoncer aux habitudes et aux valeurs des précédentes. Quels sont les deuils à faire, en tant qu'enseignant, lorsqu'on engage ses élèves vers davantage de coopération en classe ?

• Je dirais la tentation de tout maitriser :
o maitriser ce qu’ils font et
o maitriser ce qu’ils se disent (« et si, en aidant, un élève dit quelque
chose de faux ! »).
• Ne pas penser que les élèves travaillent seulement quand l’adulte est
derrière eux.
• La toute puissance de la didactique. Il n’y a pas que dans les situations
didactisées par l’enseignant que l’on apprend les points du programme.
• Que les élèves savent coopérer !!! Ils sont naturellement enclins à
coopérer pour la plupart mais coopérer en classe est différent de ce qui
se pratique dans la société.

Quand on laisse des enfants coopérer sans une organisation adulte, les résultats peuvent être contraires aux intentions.

3. Faut-il instituer des moments précis consacrés à la coopération et à la valorisation des relations dans l'horaire de la classe ou est-ce mieux de profiter des opportunités qui se présentent au fil des jours et au gré des circonstances ? Partant, quel équilibre trouver pour les temps de coopération dans l'emploi du temps de la semaine de classe ?

Oui, on a intérêt à instituer des temps surtout en début d’année mais cela
dépend des âges des élèves.

A la maternelle, ce sera plus au fil de l’eau. Mais dès l’école primaire, on gagnera beaucoup de temps à prévoir une « formation » en début d’année.

Des jeux coopératifs pour faire apparaitre les premières « habiletés coopératives » puis, si l’on souhaite qu’ils s’aident au travail, une formation aux gestes de l’aide à l’école.

Ceci en fera des tuteurs (c’est à dire des experts dans les gestes de l’aide).

Au début d’année donc, il y a des moments spécifiques consacrés à apprendre à coopérer – des jeux, une formation, des situations. Par la suite, dans ma classe on peut coopérer tout le temps sauf aux évaluations individuelles.


Mais l’équilibre est instable ! Cela dépend des âges, de l’ambiance du groupe en début d’année et tout au long de l’année. Il est parfois nécessaire de reprendre la maitrise à certains moments.

Pour cela l’instauration d’un conseil de classe est très (très) utile. Il a lieu une fois par semaine.

Pour le suivi des projets en cours, des moments de réunions (15 minutes) sont programmés deux fois par semaine en plus du conseil.

4. Dans certains groupes classes, la coopération semble assez facile à installer car le climat relationnel est déjà positif. Dans d'autres, par contre, cela semble impossible tant les tensions, les rivalités et les disputes sont présentes au quotidien. Que faire dans ce cas ? Par quoi commencer ?

On ne peut commencer à intensifier la coopération (car elle existe de toute
manière) sans qu’un minimum soit en place.
1. L’interdiction de la violence.
2. L’interdiction de la moquerie.
Une fois cela en place, il y aura des régressions que l’on reprendra à chaque fois mais on se base sur ce socle. Si ce n’est pas possible, au début, l’enseignant reste en gestion collective en classe et limite au minimum les interactions entre élèves sinon on risque de mettre le groupe ou certains élèves en danger dans les espaces de liberté induits par la coopération. (une accusation en conseil, des menaces pour donner les
réponses, etc.).

Le groupe peut avancer et régresser en terme de pratiques coopératives, de même pour certains élèves. Pendant ces moments, l’enseignant peut (et doit) revoir l’organisation.

La coopération n’est pas une valeur qu’il faut à tout prix faire exister dans la classe, c’est un moyen. Parfois d’autres outils sont plus efficaces.

5. La coopération est-elle réellement bénéfique pour tous les enfants d'une classe ?

Difficile d’être sûr et c’est une question à se poser en permanence pour
l’enseignant.

On peut partir du fait que les élèves en facilité profitent le plus de tous les
systèmes pédagogiques. Ce qui ne veut pas dire que tous les systèmes se valent ; même pour eux.

La coopération peut-être anxiogène pour certains. Elle met les élèves dans des situations plus complexes. Certains en tireront grand bénéfice, certains auront besoin d’un accompagnement fort.

On peut ainsi arriver à des organisations de classes très favorables pour certains et appauvries pour d’autres ; le tout dans une classe plus « active » où l’on se dit que tout le monde apprend plus.

Cette forme de cécité de l’enseignant peut conduire à augmenter un effet élitiste à l’école. C’est l’organisation, par l’enseignant, de la coopération en classe qui permettra que la coopération soit bénéfique pour tous et non pas la coopération en ellemême (à ce sujet on pourra consulter les travaux d’Alain Baudrit sur le tutorat).

Si elle n’est pas organisée, elle peut en fait dégrader l’ambiance générale d’une classe et appauvrir la quantité d’apprentissages !

Si c’est temporaire, cela sera grandement rattrapé par la suite car cela aura permis d’expliciter bon nombres d’implicites de l’école, de favoriser l’autonomie et d’augmenter l’engagement de la majorité des élèves. (« Savoir perdre du temps pour en gagner » principe énoncé déjà par Rousseau dans l’Emile)

Dans tous les cas, pour les âges de nos classes scolaires, je n’abandonne pas la gestion collective de la classe et une approche très étayée des apprentissages les plus importants ; les enfants n’apprennent pas tout seuls, même en s’aidant.

6. Certains enfants aiment travailler seuls. Faut-il les contraindre à coopérer ?

Non, la coopération nécessite une part de liberté.
Ceci étant dit, il est compliqué de respecter ce principe à l’école. Cela va obliger l’enseignant à être très au clair au sujet des règles de la classe.

Il est difficile, surtout en début de carrière, de laisser une marge de choix aux élèves. Cela peut déstabiliser l’instauration de la relation d’autorité.
Pourtant, certains élèves préfèrent réaliser certaines activités seuls et c’est plus profitable pour eux.

L’enseignant peut les laisser tester ... par contre, l’élève ne reçoit aucune aide ; pas même celle de l’enseignant. Ici des bilans réguliers où les élèves s’expriment sur ce qu’ils vivent en classe aident tout le monde à s’ajuster.

SI les élèves voient l’intérêt de coopérer, cela sera plus simple pour l’enseignant par la suite.

7. Apprendre à coopérer, est-ce possible dès la maternelle ? L'enfant de moins de 6 ans n'est-il pas encore trop égocentrique comme l'a montré Piaget ? Selon vous, y a-t-il une progression à respecter ?

L’échange est primordial à la coopération. Certains enfants ne « voient » pas les autres (et pas seulement à la maternelle). Comment pourraient-ils échanger avec eux ?

Ils sont centrés sur eux et sur les adultes.
Ceci étant dit, elle est possible, tous les êtres humains sont « précablés » pour l’empathie et rien ne manque pour coopérer dès le plus jeune âge.

J’ai vu et filmé des exemples de coopération sans intervention d’adulte en classe dès l’âge de 3 ans.
De plus, la « socialisation » est un objectif de la maternelle et les adultes s’y emploient grandement.

Or les moments où la coopération est favorisée permettent des interactions plus libres et ainsi potentiellement différentes que ce qui peut être planifié par les adultes.

Cela peut, pour certains, accélérer ou intensifier cette socialisation.

Je ne suis pas spécialiste de la maternelle mais je dirai qu’il n’y a pas de
progression à respecter. Les biologistes (Pablo Servigne et Gauthier Chapelle « L’entraide, l’autre Loi de la Jungle », Ed : Les Liens qui Libèrent) nous apprennent qu’un milieu hostile favorise l’entraide entre êtres vivants.


A la maternelle (et dans tous les autres cycles), il n’est pas question de rendre le milieu hostile mais les adultes peuvent réfléchir à l’intensité de leur présence.


Cependant, si l’adulte répond immédiatement ou même anticipe les besoins des enfants, ils n’auront nul besoin de faire appel aux autres. Il n’est pas question de les abandonner ; par contre, une réflexion sur la « présence-absence » de l’enseignant créera un milieu favorable à l’émergence de la coopération entre élèves (voir sur ce point la métaphore du colibri http://francois.muller.free.fr/contes/colibiri.htm)

8. Si coopérer est un apprentissage, faut-il l'évaluer ?

Aïe ! Je n’en sais rien ! Je devrais dire « OUI CERTAINEMENT » mais mon style d’enseignant et ma personne me disent non.

En France, nous devons « Favoriser la coopération », nous n’avons pas vraiment d’objets de programme liés à cela au primaire même si la coopération va développer des compétences liées à l’engagement, l’autonomie etc ... qui sont, elles, des compétences cibles. Au secondaire, il y a plus d’objectifs explicites - pour le travail de groupe en Sciences par exemple – et c’est alors évalué.

Pour être honnête, dans ma classe, les élèves ont des « ceintures de
comportement » qui représentent évidemment une forme d’évaluation et
d’incitation. Je suis pourtant conscient qu’il y a un danger à établir une évaluation systématique des comportements : cela peut aboutir à la normalisation et à l’hypocrisie.

Je résous, toujours provisoirement, ce dilemme en pointant des comportements coopératifs attendus mais en ne les rendant pas obligatoires. Par exemple dans les ceintures de comportement, les premières couleurs ne sanctionnent que des comportements classiques d’élèves à l’école.

Les compétences de coopération n’interviennent que dans les ceintures élevées. Un élève peut décider de ne pas briguer ces ceintures élevées, il ne lui en sera pas tenu rigueur.

Être un élève « classique » c’est déjà pas mal . Le but de l’éducation contient un objectif d’émancipation des individus incompatible avec une normalisation trop forte des comportements.

9. La coopération à l'école peut prendre bien des visages ... Quelles sont les pratiques qui vous paraissent essentielles ?

L’aide, l’entraide, le tutorat et le travail de groupes. Les projets qui peuvent être réalisés à plusieurs. Les responsabilités que prennent certains dans la classe.
Je placerai aussi le conseil de coopération comme essentiel mais c’est un sujet sensible car ce dispositif, mal organisé, peut-être nuisible. ON peut intensifier les pratiques coopératives dans sa classe sans le conseil (qui lui aussi n’est qu’un outil).

Enfin, dans une classe, quand il fonctionne, on se demande comment d’autres peuvent faire sans !

10. Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui a envie de se lancer, mais n'a aucune expérience dans ce domaine ?

Comme ce domaine reste encore une pratique d’innovation (après presque 100 ans de pratiques autour du mouvement Freinet !) je conseille de ne pas rester seul.

Toute pratique qui sort de l’ordinaire peut susciter des inquiétudes de la
part des élèves, des parents, des collègues ou de l’institution et mettre
l’enseignant dans une situation difficile.


Par ailleurs, se former avec d’autres enseignants est très utile ! Aller voir des pratiques en classe, intégrer un groupe d’échanges pour s’accompagner tout au long du processus est d’une grande aide. Bref, coopérer entre adultes pour coopérer dans la classe.

Pour finir, commencer pas des outils testés par d’autres, ne vous mettez pas à tout inventer, il y a assez à faire !

11. Avez-vous des souvenirs personnels de coopération à l'école, lorsque vous étiez élève ? Ont-ils guidé votre intérêt et votre engagement actuels pour faire en sorte qu'apprendre à l'école ne se limite pas à apprendre tout seul ?

Non. Aucun souvenir, même pas dans les formes les plus simples.

< C'est à plusieurs qu'on apprend tout seul :.