Sylvain Connac

paru en pages 14-15 dans Animation § Education n°287 pdf

" Comment apprendre en coopérant"

Comment installer une coopération de laquelle chaque élève tire bénéfice  ? Une coopération grâce à laquelle chacun apprend mieux, par et avec les uns et les autres ? Quelles précautions adopter dans son organisation et sa mise en œuvre ? S’appuyant sur quelques dispositifs coopératifs, le pédagogue et enseignant-chercheur Sylvain Connac répond. Il ébauche ainsi une didactique de la coopération.

La coopération à l’école est intéressante pour mettre en acte des valeurs de fraternité et d’humanisme. Nous espérons aussi qu’elle participe à former les enfants pour qu’ils puissent s’engager, une fois adultes, dans des actions qui transformeront nos sociétés vers moins d’individualisme. Mais en pédagogie, organiser une classe de manière coopérative peut également aider les élèves à mieux apprendre (du français, des maths, de l’histoire…). Cela leur donne la possibilité de travailler avec, par et pour d’autres, afin de contribuer autant aux progrès des autres qu’aux siens.

Pourtant, cela ne va pas de soi. On sait depuis longtemps qu’il ne suffit pas de mettre des élèves autour d’une table pour qu’une coopération s’installe et conduise chacun à en retirer un bénéfice. Philippe Meirieu (1996) l’expliquait déjà à travers sa thèse en sciences de l’éducation. Sans précaution spécifique, les élèves s’organisent spontanément en se répartissant quatre fonctions inéquitables  : les concepteurs (ceux qui pensent la résolution de la tâche), les exécutants (ceux qui mettent en œuvre les idées apportées par les concepteurs), les chômeurs (ceux qui se mettent en retrait et attendent que le travail se fasse) et les gêneurs (ceux qui n’acceptent pas la passivité et parasitent leur groupe ou la classe).

Comment donc peut-on faire coopérer des élèves pour les aider à apprendre  ? Autrement dit, qu’est-ce qui pourrait constituer une didactique de la coopération ? Dans le cadre de cet article, nous ne pourrons évoquer que quelques dispositifs coopératifs : le travail en groupe, l’aide, l’entraide et le tutorat ainsi que le travail en équipe. 

Faire travailler des élèves en groupe, c’est utile pour susciter du questionnement. Les élèves échangent leurs idées, ils entrent en confrontation aussi loin que possible dans les arguments et en viennent à s’interroger sur la solidité de leurs certitudes. C’est ce que l’on désigne par le passage du conflit sociocognitif au conflit cognitif (Darnon et al., 2008). Le but est de susciter suffisamment d’incertitude pour que naisse le besoin d’apprendre quelque chose de nouveau, en mesure de pouvoir retrouver un équilibre.

Pour éviter que des élèves se mettent en retrait et laissent certains de leurs camarades penser l’essentiel des problèmes, nous avons pu repérer quelques précautions aidantes : d’abord, faire réfléchir les élèves seuls, constituer les groupes de manière aléatoire avec les élèves volontaires (les autres continuent seuls), rappeler l’importance des conflits d’idées, insister sur ces conflits lors des remontées collectives, présenter les savoirs que l’on souhaite enseigner comme des réponses à ces désaccords, terminer par un exercice individuel où les élèves appliquent immédiatement ce qui vient d’être étudié.

L’entraide, c’est quand des élèves travaillent avec une même consigne et qu’ils ne veulent pas rester seuls (parce qu’ils manquent de motivation ou n’y arrivent pas). L’aide et le tutorat, c’est quand un élève prend l’initiative de solliciter un camarade (en qui il a confiance) pour obtenir une information qui lui manque pour réaliser son travail. L’aide, l’entraide et le tutorat sont intéressants comme solutions face à l’isolement des élèves.

Grâce à ces formes de coopération, quand on n’y arrive plus par soi-même, on sait que l’on peut compter sur d’autres élèves. C’est une fonction de déblocage, qui a pour premier effet d’augmenter la durée de travail des élèves (leur temps d’exposition aux apprentissages). Malheureusement, cela peut facilement devenir problématique quand ce sont toujours les mêmes élèves qui aident : ils sont les seuls qui profitent des avantages de l’effet tuteur, leurs camarades systématiquement aidés perdent confiance en eux, se découragent et en viennent à stopper leurs efforts.

Nous avons pu observer chez les enseignants qui contournent cette dérive une vigilance particulière à la réciprocité. Elle consiste à ce que tous les élèves puissent aider. Pour inciter à cette fonction coopérative, une formation au tutorat peut les encourager (Connac, 2020). Un brevet de tutorat peut aussi rappeler le caractère essentiel de cette réciprocité. Des marchés de connaissances sont également très pertinents pour renvoyer à chaque enfant qu’il est capable d’apporter de l’aide à des camarades.

Le travail en équipe est la forme de coopération associée aux démarches de projets. Basées sur les pédagogies de l’enquête (Thievenaz, 2017), elles consistent à ce que des élèves soient auteurs de projets dont ils sont à l’initiative, prennent la main sur ce qui se fait en classe en sortant des seules postures d’exécution. Après les phases d’éveil, une démarche de projet se détermine par un temps de parole laissé aux élèves pour qu’ils émettent des idées de projets (Cottereau, 2007).

Ensuite, soit ils choisissent d’être seuls (pour des projets personnels), soit ils préfèrent être à plusieurs (ils forment ainsi des équipes). Contrairement aux groupes qui sont courts et dont le principe est de confronter ses idées, le travail en équipe s’étend sur des durées plus longues (parfois plusieurs semaines) et oblige à se mettre d’accord malgré les difficultés rencontrées. C’est ainsi que les élèves apprennent, sous forme de compétences transversales (des soft-skills comme savoir travailler avec d’autres) ou de transferts d’apprentissage de notions scolaires découvertes dans des conditions moins authentiques.

Malheureusement, on confond souvent pédagogie de projet et pédagogie active. Or, pour du travail en équipe, ce sont bien les élèves qui sont à l’initiative du projet ; les rendre actifs par une consigne que l’on a choisie pour eux est beaucoup moins mobilisateur. La principale vigilance repérée est donc, en tant qu’enseignant, de penser sa propre disparition, afin que les élèves puissent adopter des postures d’élèves autonomes et responsables. Il ne s’agit pas de les abandonner à leurs œuvres.

Les conseils coopératifs consistent justement à donner régulièrement la parole aux représentants de chaque équipe pour que, si besoin, la classe leur apporte du soutien dans l’avancée de leurs projets. Nous venons brièvement de présenter ce qui détermine une didactique de la coopération entre élèves, pour quelques-unes de ses déclinaisons. Il reste à préciser que, si l’on souhaite introduire ces organisations coopératives afin d’aider les élèves à apprendre, il convient de les installer à des temps didactiques précis.

Des «  places didactiques  » sont ainsi à définir  : le travail en groupe plutôt en début de séquence, lorsqu’il s’agit de découvrir une nouvelle notion autour d’une situation-problème choisie à cet effet ; l’aide, l’entraide et le tutorat plutôt pour les temps d’exercices et de plan de travail, afin de faciliter la mémorisation et l’automatisation des procédures ; le travail en équipe plutôt en prolongement des séquences, pour accompagner les apprentissages jusqu’au niveau de la compétence et permettre la réutilisation de ce qui a été appris dans des environnements à la fois complexes et inédits. Grâce à ces combinaisons précises entre pédagogie et didactique, nous pouvons parier aisément sur un avenir prometteur de la coopération à l’école.

Sylvain Connac, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier – LIRDEF

bibliographie

Connac, S. (2020). La coopération, ça s’apprend. ESF Éditeur – Collection « Je me lance ».

Cottereau, D. (2007). Alterner pour apprendre – Entre pédagogie de projet et pédagogie de l’écoformation. Réseau École et Nature.

Darnon, C., Butera, F. et Mugny, G. (2008). Des conflits pour apprendre. PUG.

Meirieu, P. (1996). Itinéraire des pédagogies de groupe – Apprendre en groupe. Chronique Sociale.

Thievenaz, J. (2017). De l’étonnement à l’apprentissage – Enquêter pour mieux comprendre. De Boeck Supérieur

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